Anaïs Laurent

Le psaume des saisons

 

« Toutes les sociétés totémiques dans l'Europe antique étaient sous l'autorité de la grande Déesse, la Dame des choses sauvages ; les danses étaient saisonnières et s'ajustaient dans un moule annuel d'où émergea graduellement l'unique et l'immense thème de la poésie : la vie, la mort, et la résurrection de l'Esprit de l'année, fils et amant de la Déesse. »

Robert Graves

 

Si l'écrivain Robert Graves a raison de dire que la profondeur d'un poète se mesure à la qualité du portrait qu'il est capable de faire de la Dame des choses sauvages (que son nom soit Isis, Thétis, Cybèle, Diane ou la Dame Blanche), que dire de l'œuvre d'Anaïs Laurent sinon qu'elle appartient toute entière à cette grande Déesse aux mille noms. Elle en est l'incarnation parfaite et, plus encore, peut-être, son rythme, son style et sa prosodie n'en sont qu'une émanation bienheureuse – qu'une divine célébration.

 

Mimant avec une sorte de joie intrépide et sauvage le grand cycle de la vie retournant éternellement dans la mort (pour renaître encore), ce psaume en l'honneur des saisons est donc tout autant une ode célébrant la force de Pan qu'une élégie annonçant sa proche résurrection. D'abord lent et mélancolique, comme peut l'être l'hiver quand s'étend sur le corps de la Déesse son blanc manteau, son poème s'accélère ensuite, à mesure que s'éveille dans son cœur le pressentiment de sa future fleuraison.

 

C'est alors que la nature, jusque là si tristement silencieuse et morne, se mue - comme par enchantement - en une sorte d'orchestre féérique et suave. Les cigales, les bourdons, le vent dans les monts, la nature toute entière n'est plus, pour le poète, qu'un prétexte à laisser libre cours à sa passion. Quelque soit le phénomène qui vient chatouiller son oreille, son imagination le hisse à la hauteur d'un symbole et, peut-être plus encore, à la sublimité d'une apparition. Mais ce n'est qu'à l'approche de l'été suffocant, quand la terre rouge et noire exulte et s'enflamme sous les ardeurs de Ra, que la voix d'Anaïs Laurent atteint enfin son plein éclat.

 

Délaissant les associations sages et les idées feutrées, son poème devient alors l'image même de la sensualité. Les montagnes nues ressemblent à des corps de femmes. Le tronc d'un érable, succombant aux douces lumières d'une lune devenue ovale, renonce aux derniers vestiges de sa pudeur en laissant tomber à terre ses feuilles devenues, pour un instant au moins, trop lourdes à porter. Tout est brûlant. Et la folie de la nature n'est plus qu'un immense répertoire d'images donnant enfin à la langue du poète la force de chanter, avec une intensité égale à son sujet, la splendeur de la Déesse Blanche.

 

Mais ce psaume des saisons ne serait pas encore tout à fait complet s'il ne contenait pas aussi, en guise de divin contrepoint à ses sensuelles envolées, une sorte d'éloge pathétique d'une figure qui, sans être celle de Marie, ne soit plus seulement celle de la Déesse Blanche. Et c'est d'ailleurs précisément ce qu'a jugé bon de faire Anaïs Laurent en choisissant de conclure son poème par une succession de stances ne parlant plus de la nature elle-même, mais de la bénédiction que celle-ci apporte à l'âme du poète dès lors qu'il ose pleinement lui offrir son cœur. Car, c'est de cet amour seul que peut naître la beauté de son chant.

Baitinger, Frédéric-Charles